Jazzy Bazz : Poétique du chaos – NIRVANA

Crédit Photo : @jeremybdt_ et @arnaudvieron

Depuis ses débuts avec L’Entourage, jusqu’à ses évasions nocturnes en solitaire (P-Town, Nuit, Memoria…), Jazzy Bazz a toujours marché en funambule sur une ligne fine entre introspection et observation. Trois ans après l’excellent Memoria, le rappeur du 19e revient avec NIRVANA, un album d’une sobriété rare, d’une densité poignante, et sans doute le plus personnel de sa carrière. Pas d’interviews. Pas de single. Seulement un numéro WhatsApp griffonné sur des affiches à Paris, par lequel 18 000 personnes (en 24h) sont venues chercher un peu de lumière dans la brume. Une brume à l’image de son disque

Entièrement co-produit par SAO, un duo formé par nu_tune et Baryshnikov (alias de Jazzy Bazz lui-même), NIRVANA marque une rupture nette avec ses projets précédents. Loin des performances de style ou des fioritures techniques, l’album déploie une narration contemplative, presque cinématographique, où la voix de Jazzy Bazz devient guide dans un Paris dystopique. Une capitale vidée de sa superbe, ravagée par les tensions sociales, la perte de repères, les amours mortes et les angoisses sourdes. Un monde qui vacille, où l’Homme tente encore de danser lorsqu’il y a une tempête

Si l’album tire des références comme Blade Runner, 1984 ou L’Armée des 12 singes, c’est loin d’être un hasard : NIRVANA est une œuvre de science-fiction au sens noble, le projet interroge le présent à travers le prisme de futurs possibles, ou plutôt, probables. Dans ses morceaux, Jazzy Bazz ne cherche pas tant à dénoncer qu’à ressentir : la déshumanisation, la solitude, le chaos émotionnel. Le tout, avec une pudeur qui force le respect. 

Sur le plan sonore, l’album est d’une richesse rare. Le travail du duo se ressent dans chaque détail, chaque silence, chaque transition. Boom-bap brumeux sur Vertigo, cordes tragiques sur Souviens-toi, textures électroniques bouleversantes sur Gizeh (qui sample le mythique #19 d’Aphex Twin) : chaque piste est pensée comme un tableau en mouvement. Les arrangements subtils révèlent un Jazzy Bazz plus vulnérable, plus mélodique, mais toujours aussi précis. Sa plume, elle, continue de capter l’impalpable : une phrase suffit pour convoquer tout un univers, une image, un souvenir, un vertige. 

Mais à trop chercher la justesse, NIRVANA oublie parfois de déranger. C’est un album qui maîtrise tout, jusqu’à risquer de s’enfermer dans sa propre élégance. Il y manque ce grain de folie, ce moment d’abandon qui transforme un bon film en chef-d’œuvre. Si NIRVANA est bel et bien un long-métrage sonore : cohérent, fluide, immersif ; il lui manque peut-être ces imperfections qui rendent les grands films inoubliables. Les grandes œuvres ne sont pas parfaites : elles vivent, elles vibrent, elles tremblent. On aurait aimé plus d’audace, plus de prise de risque dans les flows, dans les structures, dans l’écriture. Que les couplets mordent, que certaines punchlines giflent, que le propos ose parfois sortir des lignes. 

L’un des mérites du disque, pourtant, est de ne jamais se replier sur soi. Malgré son intimité, NIRVANA est traversé de voix extérieures qui résonnent comme des échos familiers : Barbara dans Vertigo, Georges Brassens dans Michel-Ange, et surtout Tuerie et Esso Luxueux, les deux seuls invités du projet, qui viennent enrichir le propos sans en détourner le centre. La voix de Jazzy Bazz reste celle qui raconte, qui relie, qui tient le fil de cette errance mentale et physique.  

Avec ce quatrième album studio, Jazzy Bazz s’affranchit de toute attente. Il ne cherche plus à plaire, ni à convaincre : il exprime. Dans un monde où tout s’accélère, il ralentit. Dans une époque saturée de communication, il choisit le silence. NIRVANA n’est pas un album à consommer, mais à vivre, à ressentir, à laisser infuser. C’est un disque de brume et de chair, d’espoirs ténus et de lucidité brutale, qui interroge la place de l’artiste dans un monde au bord du gouffre, et celle de l’humain face à lui-même. 

“Parler en musique, ça suffit parfois”, écrivait-il pour annoncer son absence médiatique. Une phrase qui résume parfaitement l’essence de NIRVANA. Un album sans concession, qui s’écoute comme on erre dans une ville vide : les sens en alerte, les pensées en cascade. Il aurait peut-être gagné à prendre plus de risques, à se frotter à l’imperfection pour atteindre encore plus de vérité. Mais NIRVANA reste une œuvre forte, dense, incroyablement aboutie. Un album qui ne se donne pas facilement, mais qui laisse une trace. Celle d’un artiste libre, lucide, et plus que jamais en quête de sens dans le chaos ambiant.

Cover par @raegular, @jeremybdt_ et @arnaudvieron

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