Gen - La fulgurance, l’honnêteté, les pieds nus - BAREFOOT
Gen n’a jamais fait dans le rap conventionnel. De projet en projet, l’artiste originaire de Château-Thierry a construit une discographie singulière, où la poésie brute côtoie des instrumentales sophistiquées et des fulgurances désarmantes. Avec BAREFOOT, son sixième projet, il livre un EP à la fois accessible et radical, où il déconstruit les attentes tout en affirmant son identité artistique. Dès les premiers morceaux, une évidence se dessine : Gen n’a rien perdu de sa plume affûtée et se veut plus sincère qu’il ne l’a jamais été. Il s’amuse, joue avec les sonorités, tord la langue et la réalité pour en extraire une vision unique. COMME LA ROUE ouvre le bal avec une phrase qui en dit long : « Je rappe dans la pièce principale, avant je rappais dans le couloir ». Ce n’est pas juste un constat, c’est une déclaration d’intention. Après plusieurs EPs confidentiels mais acclamés, Gen occupe désormais l’espace, et il compte bien s’y installer.
Là où ses précédents projets exploraient des territoires plus hermétiques, BAREFOOT s’offre comme une respiration. « Ce sont de loin les morceaux les plus détendus et spontanés que j’ai pu faire », confie-t-il. On le sent sur DRUNK, où l’euphorie côtoie le désenchantement, ou sur je déteste la musique, morceau qui, derrière son titre provocateur, cache une introspection sur son rapport à son art. Gen n’est pas du genre à livrer des morceaux formatés ; il préfère interroger, remettre en question, tourner autour des évidences pour mieux les déconstruire. Mais ne vous y trompez pas : si BAREFOOT se veut plus accessible, il ne trahit jamais l’exigence sonore de Gen. La production, façonnée entre la Norvège et Montreuil avec Medbanger, sanjuliet et d’autres alchimistes du son (Lilchick, Sam Tiba, FuckSanremo), flirte avec l’électronica, le trip-hop et même la pop lo-fi italienne sur VOX POPULI. Chaque titre est une pièce d’orfèvrerie, un collage précis où les textures viennent sublimer une écriture qui, elle, reste tranchante. À travers BAREFOOT, Gen ne se contente pas d’enchaîner les rimes : il construit un univers sonore cohérent, qui oscille entre introspection et une spontanéité désarmante.
Parmi les moments forts de l’EP, PLUS RIEN, en collaboration avec Tuerie, frappe par son intensité. Les voix se répondent, s’imbriquent, se superposent, donnant naissance à un dialogue qui oscille entre mélancolie et rage contenue. C’est un morceau qui illustre parfaitement la capacité de Gen à transformer un simple featuring en une expérience immersive. À l’inverse, TANGERINE clôt l’EP avec une touche plus lumineuse, presque aérienne. On y retrouve un Gen apaisé, en suspension, qui semble observer son propre parcours avec un recul inhabituel. Entre ces deux extrêmes, il oscille entre l’ironie et la sincérité, le brut et le raffiné, le jeu et la confession.
Si l’on devait résumer l’âme de BAREFOOT, ce serait sûrement l’image d’un artiste qui avance sans artifices. Il abandonne ses contraintes et ses certitudes pour explorer de nouveaux horizons. Gen s’autorise plus de spontanéité, mais sans jamais renier ce qui fait son essence : une écriture ciselée, une intelligence musicale et une capacité à capturer l’indicible.
Le titre même du projet en dit long. « BAREFOOT », c’est marcher pieds nus, sans protection, ressentir chaque aspérité du sol, prendre le risque de se blesser, mais aussi de mieux sentir les vibrations du monde qui nous entoure. Cette approche se ressent dans chaque morceau : Gen ose, prend des libertés, et son rap gagne en sincérité brute. Il s’affranchit des tendances, refuse la facilité et impose un style qui ne ressemble qu’à lui.
Un autre point remarquable de cet EP est sa gestion de l’espace sonore. Contrairement à ses précédents projets, souvent plus denses, BAREFOOT respire davantage. Les silences sont aussi importants que les mots, les respirations laissent place à des ambiances plus aérées. On sent que Gen a voulu privilégier l’instant, capturer une énergie plus instinctive. Cela donne naissance à des morceaux qui semblent à la fois très travaillés et étonnamment naturels. Avec BAREFOOT, Gen avance pieds nus, mais il laisse une empreinte indélébile. Son rap ne cherche pas à plaire, il s’impose.
