Le Monde Daho : L'interview
Révélé par son premier projet Le Monde 00, Le Monde Daho incarne un jeune artiste à l’univers hybride et affûté. Avec une musique naviguant entre diverses propositions, portée par une plume acérée et un imaginaire visuel soigné, il se distingue par sa maturité artistique impressionnante malgré son arrivée récente sur la scène. Sélectionné pour le dispositif des Inouïs du Printemps de Bourges 2024, Le Monde Daho illustre parfaitement les enjeux de l’émergence artistique à l’heure de l’indépendance, tels que développés dans notre article « Émerger, durer, créer : Les nouveaux défis de l’indépendance« . Cette interview revient sur son parcours, son approche de la création, son rapport à l’image, et ses ambitions, à un moment charnière de sa jeune carrière. Une plongée dans un monde en construction, aussi lucide qu’inspiré.


Digital&Ce Interviewer
T’es sélectionné cette année aux Inouïs du Printemps de Bourges, un dispositif important dans la musique, qui permet de mettre en lumière des artistes émergents. Qu’est-ce que ça représente pour toi de faire partie de cette programmation ? Comment est-ce que t’as vécu le parcours qui t’a mené ici ?

Le Monde Daho
Artiste
Pour commencer, je réalise pas encore vraiment ce que c’est, mais je sais que c’est quelque chose d’important, surtout étant donné que j’ai commencé la musique récemment. Le fait d’arriver ici, comme ça, alors qu’on a commencé très tôt, rend difficile la manière de réaliser l’importance des Inouïs du Printemps de Bourges. C’est quand même un grand nom. Un jour, les Inouïs deviendront peut-être plus importants que les artistes du Printemps de Bourges (rires).

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Tu as sorti ton premier projet, Le Monde 00, il y a seulement quelques mois, et pourtant ton univers semble déjà très affirmé. Comment as-tu construit cette identité artistique aussi rapidement ?

Le Monde Daho
Artiste
C’est un peu des deux. J’ai commencé à avoir une certaine idée de ce que je voulais artistiquement, et puis j’ai rencontré les personnes de l’équipe Choof, avec lesquelles je travaille régulièrement, qui m’ont permis de concrétiser. On avait exactement la même vision de ce qu’on avait envie de faire en musique. Ils m’ont offert une sorte de structure, parce qu’ils ont des studios, ils me produisent un petit peu, et moi je leur ai offert un artiste, l’artiste qu’ils souhaitaient. On travaille en bonne intelligence. C’est cool parce que tu parlais d’inter-genres, et le projet, pour moi, est assez représentatif de cette ouverture.

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Toujours sur cette convergence de genres, tu navigues entre cloud, trap, neo-soul… avec des textes incisifs qui oscillent entre ego-trip et storytelling. Quelles sont tes influences musicales, quels sont les artistes qui t’ont impacté, qui ont fait en quelque sorte l’artiste que t’es aujourd’hui ?

Le Monde Daho
Artiste
Il y en a un tas ! Généralement, c’est des artistes dans des genres très différents. J’me suis mangé ma gifle dans tout ce qui est rock : Freddie Mercury, Led Zeppelin… Côté rap, j’me suis mangé tout ce qui est Damso, Key Largo, Luidji, la scène belge, la scène suisse, Makala, Slimka… Après, il y a les grands noms : j’ai vu Lenny Kravitz récemment, j’ai aussi vu The Dare, le mec de Charli XCX, trop fort.

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J’ai vu que tu commences déjà à pas mal tourner, t’es notamment programmé à Rock en Seine. Est-ce que t’as l’impression que les choses vont très vite dans ton cas ?

Le Monde Daho
Artiste
Oui, ça va très vite. Je dirais pas trop vite dans la mesure où j’suis content que ça avance rapidement. J’ai commencé la musique tardivement. J’fais pas partie des artistes qui, depuis tout jeunes, savaient qu’ils allaient faire de la musique ou plonger dedans. J’ai commencé tard et j’suis content, ça me permet de sauter des classes.


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C’est un parcours assez atypique, parce qu’on sent déjà une certaine maturité dans ton projet, ton flow est déjà millimétré, on a l’impression que t’as toujours fait ça.

Le Monde Daho
Artiste
Après, ça vient d’autres choses. Tu parles d’inter-genres, de styles musicaux, mais pour moi, il existe un art qui est peut-être plus pluridisciplinaire. Les inspirations ne sont pas seulement musicales. Par exemple, quand t’as l’habitude de bouquiner, d’écouter des gens parler au téléphone, dans des podcasts, t’acquiers une forme de réflexe qui peut être reproduit, reconstruit dans la musique. J’écoutais énormément Pierre Desproges, chroniqueur sur France Inter à l’ancienne, et grand humoriste. Je le trouve trop fort : sa manière de structurer les phrases, son approche de l’absurde… et même oralement, il y a un style de la langue française.

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Pour en revenir un peu sur les Inouïs, comment t’as perçu cette scène ? Tu l’as plutôt vue comme un tremplin, une étape, un simple espace de création libre ?

Le Monde Daho
Artiste
J’ai surtout un souvenir du moment où je l’ai appréhendée. Bizarrement, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Tu te retrouves dans un endroit avec plein de personnes différentes, qui plus est des artistes, donc c’est une disposition assez rare. Mais après, quand on est arrivés, ça a été trop cool parce qu’on voyait que les autres artistes étaient comme toi. Excepté leur côté artistique, ils sont aussi humains, et j’ai pu voir toute leur humanité pendant la classe verte. C’était cool de voir comment ils sont, t’es un peu dans une ambiance de “on se comprend”.

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Ton nom est une référence au royaume du Dahomey. Comment cet héritage béninois influence-t-il ta musique et ton esthétique ?

Le Monde Daho
Artiste
Pour moi, mes origines n’influencent pas tant ma musique. Ma revendication béninoise tient simplement au fait que j’le suis. C’est une identité et c’est une part qui me singularise, une part que j’aimerais creuser à l’avenir. Mais pour le moment, ce serait trop malhonnête de dire que ça a influencé ma musique. Jusqu’ici, c’est plutôt les références que j’ai citées, ma socialisation secondaire qui s’est passée en France. Mais je revendique ce côté béninois pour laisser une porte ouverte vers la découverte.


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Tes clips sont vraiment très travaillés, et t’as une direction déjà très précise. Quelle importance accordes-tu à l’aspect visuel dans ton travail artistique ?

Le Monde Daho
Artiste
La même importance qu’accorderait un réalisateur à la musique de film : quelque chose qui augmente l’ambiance, qui apporte de la précision. Et le clip, pour moi, est censé sublimer la musique, être un support, et non pas seulement un instrument de promotion. Certains le pensent comme ça, mais j’pense que l’image, surtout en 2025, doit permettre de mieux comprendre les musiques, de mieux les apprécier, d’apporter des détails additionnels. Puisque tous les sens sont connectés à ce moment-là. On a toujours voulu associer une sonorité à une image. Je ne sais pas comment on a perdu cette importance de l’image. J’ai le sentiment qu’en France, ça a été beaucoup perdu, alors qu’il y a l’image… fais de ta musique un film. Ça revient petit à petit, mais j’pense sincèrement que ça va être une grosse différenciation de la scène française. On est trop doués en image. Même cinématographiquement, on est hyper doués. Quand tu regardes le cinéma d’auteur, moi j’en regarde pas beaucoup, mais on est super bons dedans. Je parierais ma maison en disant que dans les 5-6 années à venir, on va assister à un grand chamboulement de la scène musicale, et l’image deviendra de plus en plus importante, parce que de plus en plus d’artistes y accorderons plus d’importance, et ressentiront le besoin de raconter quelque chose en image. Et même dans les genres musicaux, bientôt ce sera has-been de demander à un artiste « il fait quoi comme genre ? » L’image va évoluer. À moyen terme, je pense que, pour justifier le fait que ce soit sur YouTube, les clips vont durer 20 minutes, à la Michael Jackson quand il a fait Smooth Criminal, avec des interludes, une scénarisation, une histoire qui se raconte… Les gens iront vers le film de la musique. J’vois bien les gens avoir de nouvelles tournures de phrases du type : “Ouais, t’as pas vu le film de ce projet ?”.

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Tu as mentionné que la musique est pour toi une forme de thérapie. Peux-tu nous en dire plus sur ce que cela signifie dans ton processus de création ? Est-ce que c’est le fait d’écrire qui te fait du bien, de te livrer à un public, ou encore autre chose ?

Le Monde Daho
Artiste
C’est une forme de thérapie, mais pas que. Certaines musiques ne sont pas des formes de thérapie, certaines sont des projections d’un instant. Le côté thérapie vient dans un second temps. J’pense jamais ma musique pour me faire du bien, ou si jamais je la pensais pour me faire du bien, ce serait jamais un bon son. J’ai pas cette dimension cathartique où je prendrais l’œuvre pour expier je ne sais quelle douleur. Mais la dimension thérapeutique vient du fait qu’après avoir fait un bon son, j’me dis “Wouah, je suis content d’avoir ce produit dans les oreilles.” Et parfois, ma musique raconte des choses en dehors du temps dans lequel je la crée. J’peux créer une musique aujourd’hui qui veut strictement rien dire, et des sons qui veulent dire quelque chose de ce que je suis maintenant.

Digital&Ce Interviewer
On arrive à la fin. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ? Est-ce que t’as des ambitions, des objectifs que t’aimerais atteindre ?

Le Monde Daho
Artiste
Devenir une superstar (rires), ce serait cool franchement. J’kifferais trop revenir à l’époque des icônes où tu joues un peu de ton image.

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T’aimerais toucher la masse ?

Le Monde Daho
Artiste
Alors, c’est cool de toucher la masse, mais le plus important, c’est que les gens arrivent et que, même si j’ai joué devant 60 personnes, ils se disent : “ce que j’ai vu, c’est une reusta”, dans l’énergie que ça dégage. Je trouve qu’il y a vraiment une différence entre les artistes superstars et ceux qui viennent uniquement faire leurs prestations. Il y a plusieurs styles différents, c’est un peu une DA qui est drôle. Hier, j’ai vu Theodora, superstar de fou : elle a trouvé son truc : choré, précision, attitude, elle avait tout, et c’est ça pour moi.
Auteur/autrice
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Fondateur de Digital&Ce Pigiste, Interviewer, Rédacteur, RP