Tallou : L'interview
Dans le cadre du dispositif des Inouïs du Printemps de Bourges, nous avons eu le plaisir de retrouver Tallou, une artiste que nous suivons depuis plusieurs années maintenant, accompagnée de Tom, son beatmaker, avec lequel elle compose l’entièreté de sa discographie. Cette interview revêt une dimension particulière pour nous : elle fait écho à une première rencontre d’il y a quelques années et témoigne de tout le chemin parcouru depuis. À travers cette discussion, on perçoit la maturité artistique acquise, tant dans la direction musicale que dans la posture scénique, avec une pensée sensible et lucide sur les étapes de l’émergence ; ce qui rejoint notre article « Émerger, durer, créer : Les nouveaux défis de l’indépendance ». Son dernier projet, EXIL, marque une évolution importante, il mêle textures rugueuses et émotions intimes, porté par une sincérité brute.


Digital&Ce Interviewer
On se retrouve aujourd’hui dans le contexte de ta sélection au dispositif des Inouïs du Printemps de Bourges. Comment tu te sens avant d’aborder ta scène qui arrive demain au moment ou l’on se parle ?

Tallou
Artiste
Je me sens bien, un peu fatiguée de la semaine, mais exaltée. On a eu beaucoup de cours pendant la semaine des Inouïs, c’est un vrai retour à l’école. On a des cours dès le matin, des speed-meetings, des rencontres pros, des interviews… Mais en fait, c’est trop bien parce que tout est hyper catalysé en une semaine, et heureusement, je vis ça avec Tom, on est deux à traverser le truc, donc la scène de samedi, ce sera vraiment la cerise sur le gâteau.

Digital&Ce Interviewer
Vous êtes très accompagnés en ce moment avec le dispositif des Inouïs. Est-ce que vous sentez un impact sur votre travail, votre créativité, votre vision artistique ? Ou que ça aura plutôt un potentiel impact sur la suite ?

Tom
Artiste
Je pense que ça dépend un peu de chacun, mais c’est cool, parce que tout le monde a quelque chose à y prendre. Si j’peux parler de mon ressenti, c’est de voir ce qu’est la démarche d’être un artiste, de voir tous les autres artistes, voir qui ils sont, même si on fait des trucs très différents, et voir comment bien s’entourer. S’entourer de gens avec lesquels on se sent bien, surtout pour la suite : des partenaires, des labels… C’est vraiment une semaine où j’m’en rends compte et j’ai trop envie de ça pour la suite. Et humainement, comment me concentrer sur ma musique, sur mon art. Là, j’parle de moi mais en vrai c’est dans notre art. C’est juste que c’est un feeling perso, mais comment est-ce que j’vais pouvoir m’exprimer le plus sereinement possible dans mon art, dans ma musique, avec une bonne santé mentale, avec un bon entourage, et comment ensuite vendre tout ça et le mettre en forme, mais en mettant en priorité l’humain.

Tallou
Artiste
C’est des échanges qu’on a beaucoup eu avec les intervenants même s’ils venaient nous parler de sujets concrets, il y avait toujours ce discours là à chaque fois qu’on parlait avec des pros, donc c’est cool de s’en rendre compte.

Digital&Ce Interviewer
Qu’est-ce que cette sélection représente pour vous à ce moment de votre carrière ? Est-ce que vous le percevez comme une étape, un tremplin, simplement comme un espace libre de créativité ?

Tallou
Artiste
Je le perçois avec moins de pression maintenant qu’on le vit. J’avais plus de pression avant, quand je le représentais dans ma tête, parce qu’on ne savait pas exactement ce que c’était, le dispositif. Maintenant qu’on le vit, c’est tellement bienveillant et tellement complet que j’ai beaucoup moins de pression, et j’me dis juste qu’il y a plein de trucs bons à prendre, et que c’est ça l’opportunité : c’est de vivre cette semaine-là et d’en apprendre, surtout pour avoir des armes pour la suite. Qu’on gagne ou non, c’est surtout “qu’est-ce qu’on fait de l’après”, et même si c’est un après sans prix, y a quand même plein de trucs qu’on va garder. J’ai l’impression que ça donne beaucoup d’essence à mon feu, ça me donne envie d’y aller vraiment à fond pour la suite.


Digital&Ce Interviewer
Je t’avais déjà interviewée il y a quelques années, et je trouve qu’il y a une évolution flagrante dans ton parcours, que ce soit à travers la direction artistique, dans la composition de la musique, l’écriture… Je pense que t’as toujours proposé une musique assez alternative, qui allie rap, soul, groove… mais je trouve qu’on le ressent encore plus au fur et à mesure des projets, notamment dans les visuels, mais aussi dans la musique qui est à mon sens encore plus affirmée. Je pense que t’es à un moment assez charnière dans ta carrière, à dealer entre émergence et reconnaissance, parce qu’avec des projets comme “EXIL”, t’as eu plus de visibilité, aujourd’hui tu te retrouves sélectionnée aux Inouïs des Printemps de Bourges ; est-ce que ça te donne de l’élan, de la force ? Ou, à contrario, tu te dis que c’est en quelque sorte un plafond de verre que t’arrives pas à briser ?

Tallou
Artiste
Déjà, c’est marrant que tu ressentes ça parce que c’est vraiment ce qu’on ressent aussi. Entre émergence et reconnaissance, c’est totalement ça. On est sur ce plafond de verre, et on le ressent : il y a eu un moment où j’avais des doutes, par rapport à ce step qu’on arrive pas à passer, et maintenant qu’on a fait les Inouïs, au-delà du fait que ce soit marqué sur le CV, c’est vraiment le fait de prendre conscience que c’est pas juste un tremplin qui va te permettre de péter, c’est vraiment ce que tu vas garder de tout ce que t’apprends. Maintenant, je vois le truc différemment, et je me dis que là, ça tient vraiment qu’à nous, de défoncer ce plafond de verre. Ça me donne vraiment du feu, je suis plus motivée que jamais. Je dis que maintenant ça tient qu’à nous, mais évidemment ça tient pas qu’à nous, mais dans nos têtes en tout cas, c’est plus clair.

Digital&Ce Interviewer
La boule noire complète, ça a quand même été une étape ?

Tallou
Artiste
Je sais pas si ça a été une étape, j’ai l’impression qu’on l’a faite un peu trop tôt. En vrai, c’était une étape, mais c’était pas une Boule Noire juste à mon nom, c’était Tallou qui invite des guests, et c’était cool de le vivre aussi comme ça, en famille, avec un truc un peu plus collectif. Mais elle n’a pas été remplie qu’à mon nom et ça n’a pas transformé un projet, c’était une ligne de plus sur le CV des dates, mais c’était un truc où on a pu se confirmer qu’il y a des gens qui ont envie de venir nous voir, même si c’est une date hors de Rennes. C’était ça, l’étape en soi : faire une date hors de Rennes organisée par nous-mêmes, c’est quand même symbolique.


Digital&Ce Interviewer
Tes textes sont très intimes, parfois presque bruts, t’y évoques aussi beaucoup tes monstres. Est-ce que l’écriture est pour toi un espace de guérison ? Ou en tout cas de libération ? Et comment tu gères le fait d’exposer autant de toi devant ton public, est-ce que tu le ressens comme une certaine pression ?

Tallou
Artiste
C’est vrai que c’est très intime. Je vois ça plutôt comme un espace thérapeutique, parce que c’est le fait de les sortir de moi qui me fait du bien, et souvent les gens me disent que c’est dark, mais je le vois pas comme ça. J’me dis qu’au contraire, c’est beau de l’exprimer, de le sortir, et peut-être partager des choses avec les gens, se connecter. J’aime bien cette mélancolie-là, et surtout le fait de ne pas la garder en moi et de la sortir pour en faire un truc beau, un truc vivant, et pas mort, pas dark. Pour moi, c’est plus lumineux que dark, même si c’est des sujets intenses.

Digital&Ce Interviewer
Puis, le fait que tes textes sont autant accompagnés musicalement et avec une interprétation très colorée, ça fait que c’est pas une œuvre trop sombre.

Tallou
Artiste
Exactement, c’est plus coloré. On essaye d’en faire un truc très coloré et notamment avec la scène, je le ressens comme ça et j’espère que les gens le ressentent aussi comme une thérapie en l’écoutant.


Digital&Ce Interviewer
J’voudrais qu’on aborde tes influences, on l’avait déjà fait à l’époque mais je voudrais qu’on parle de tes influences plus actuelles. Est-ce qu’il y a des artistes qui t’impactent, toi, sur ta musique actuelle ? Ça peut aussi être des styles musicaux. Toi aussi Tom, ça peut être intéressant que tu répondes comme tu composes les morceaux.

Tom
Artiste
Carrément, en ce moment, ce qui m’impacte, et j’pense que ça se ressent déjà sur EXIL, c’est des trucs plus numériques, trash, distordus. J’écoute beaucoup de drum&bass, c’est de grosses influences, même si je fais pas de la drum (rires). Ces musiques-là, très brutes, c’est de grosses influences. C’est vraiment un truc de dynamique. C’est des influences très ouvertes, très oniriques, et d’un coup paf, grosse batterie qui vient. Souvent, jusqu’ici, c’était très hip-hop dans les textures, mais là j’pense qu’il y a un truc vraiment de dynamique au niveau des effets de voix, des effets de synthés, des trucs où d’un coup il y a zéro reverb, c’est très cru, et d’un coup paf, ça devient plus ouvert. J’pense que c’est un peu la même démarche mais à travers d’autres outils, et du coup j’suis très influencé par des trucs de textures et de reliefs.

Tallou
Artiste
J’pense que moi aussi, je suis très sensible aux reliefs et aux textures, et c’est normal parce qu’on travaille ensemble. Mais si je peux donner des artistes que j’aime bien : j’aime beaucoup l’écriture, la voix et la mélancolie de Swing ; en ce moment, j’écoute aussi un peu de Claude, qui passe d’ailleurs aux Printemps de Bourges. Mais en fait, mes écoutes vont vraiment dans tous les sens, et à chaque fois c’est des petits détails que j’aime. Ça va vraiment de quelques sons de Theodora, où pour le coup, c’est pas la plume qui m’intéresse, mais le côté alternatif de sa musique et de ce qu’elle défend avec férocité. J’aime trop son personnage et sa direction complètement assumée. Après, c’est beaucoup de rap français ou en tout cas la catégorie plus large du hip-hop. J’pense à Primero, parce que pour moi c’est un poète. J’aime bien quand les paroles me transcendent. Sinon, dernièrement, Ino Casablanca, pour le côté alternatif et novateur de ce qu’il fait.


Digital&Ce Interviewer
Pour conclure, quels sont vos objectifs pour la suite ? Qu’est-ce qu’on peut espérer dans la continuité des Inouïs ? Ça revient aussi sur un parallèle que je trouve intéressant vis-à-vis de briser son plafond de verre ou non : Luidji en parlait, du fait que ça sert à rien de vouloir toucher la masse et qu’il suffit de toucher une niche, en ayant 1000 fans engagés, qui achètent le merch et se déplacent aux concerts, et qu’on vit déjà de sa musique. Est-ce qu’en voulant briser le plafond de verre, vous avez pour objectif de vraiment toucher beaucoup de gens et de vivre de votre musique de manière exponentielle, ou est-ce que le côté niche est quelque chose qui vous irait aussi ?

Tallou
Artiste
Carrément ! C’est beau parce que c’est la preuve que finalement, même lui qui défendait sa niche, elle est devenue mainstream. Donc même lui, il a pas contrôlé ça.

Tom
Artiste
Perso, j’associe pas forcément cette stratégie-là, d’avoir les 1000 fans engagés, à un truc forcément de niche. Pour moi, c’est pas forcément lié, l’un ou l’autre. Et pour moi, l’un n’empêche pas l’autre. Et en vrai, sans même me poser la question de si c’est niche ou pas, dans le futur, ce qu’on fait, je trouve que c’est une bonne démarche de faire ça, parce que c’est une manière de stabiliser un truc et de vivre de la musique. En vrai, rien n’empêche de péter avec une signature une fois que la niche est installée. Je trouve que la démarche est bonne, d’avoir des fans “organiques”, un public qui achète les places… Il y en a qui sont pas du tout sur ce modèle-là, et après il y a plein de stratégies qui sont ouvertes. Rien qu’aux Inouïs, là, il y a plein de pros à rencontrer, plein de choses qui peuvent se faire. Mais je la trouve cool, cette démarche, qu’on soit niché ou pas.

Tallou
Artiste
Moi aussi. En vrai, je préfère même que les gens qui nous écoutent, ce soit des gens qui achètent le merch, des gens qui nous suivent depuis leurs 14 ans jusqu’à leurs 19 ans comme toi (rires), que ce soit vraiment leur musique de cœur. Et ça, j’pense que dans tous les cas, les gens qui nous écoutent, ce sont des gens comme ça, parce que c’est ce qu’on fait : de la musique intime, qui vient du cœur. Dans tous les cas, j’pense que ce sera forcément ça. Et j’ai de l’ambition, j’ai envie qu’il y ait plein de gens qui soient avec nous dans ce truc de musique de cœur ; donc, en vrai, j’aimerais bien toucher le plus de personnes possible.


Digital&Ce Interviewer
Et pour ce qui est des objectifs concernant la suite ?

Tallou
Artiste
Les objectifs, c’est de s’entourer professionnellement, concrètement. Avec Tom, on va créer de nouvelles chansons, on a prévu un séminaire de création, ça arrive bientôt, en juin. Puis, rencontrer et s’entourer de pros qui peuvent nous aider sur ce qu’on ne peut pas faire, donc financièrement ou dans le réseau professionnel. Trouver un label qui nous plaît, un bookeur…

Auteur/autrice
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Fondateur de Digital&Ce Pigiste, Interviewer, Rédacteur, RP