Yzaelamalice : L'interview
Naviguant entre rap et musiques électroniques, Yzaelamalice est un duo formé par Yzael et La Malice, deux rappeurs dont la rencontre humaine et artistique a donné naissance à un univers singulier, percutant et introspectif. Ils élaborent une direction artistique commune, conçoivent une scénographie, créent leurs visuels et définissent leur identité musicale. Grâce à une esthétique forte et une démarche entièrement indépendante, ils proposent une musique hybride, expérimentale et engagée, qui se vit autant qu’elle s’écoute. Cette interview a été réalisée dans le cadre de leur sélection aux Inouïs du Printemps de Bourges 2025, un dispositif repère pour la scène émergente, où leur show a confirmé leur singularité scénique. Elle s’inscrit aussi en continuité de notre réflexion sur l’indépendance et la création artistique à travers l’article « Émerger, durer, créer : les nouveaux défis de l’indépendance ». Leur dernier projet, « POUR EXISTER », un EP de trois titres (et deux interludes), marque un tournant artistique où maturité musicale et liberté totale de ton s’expriment avec force.


Digital&Ce Interviewer
Vous êtes sélectionnés cette année aux Inouïs du Printemps de Bourges, un dispositif important dans la musique, qui permet de mettre en lumière des artistes émergents. Qu’est-ce que ça représente pour vous de faire partie de cette programmation ? Comment avez-vous vécu le parcours qui vous a menés ici ?

Charli la Malice
Artiste
Ça représente le fruit de longues années de travail, en vrai. Ça fait 5 ans qu’on bosse ensemble, on fait tout maison : les prods, tout. En fait, c’est vrai qu’on a postulé plusieurs années et on se disait “mais pourquoi on n’est pas pris ?”, mais en fait le projet n’était pas assez mature, et c’est vrai que là, le fait d’avoir été pris, ça nous atteste aussi qu’on commence à toucher une certaine maturité du doigt, en tout cas musicalement, donc voilà. Puis, c’est vrai que c’est un gros dispositif que tous les artistes connaissent.

Yzael
Artiste
Puis, quand tu sais que t’es 3600 à l’inscription et que t’es dans les 32 retenus, ça donne confiance.

Digital&Ce Interviewer
Votre parcours est déjà marqué par une belle activité live, sans avoir sorti de projet pendant longtemps. Est-ce que c’était un choix de tester votre musique sur scène avant de la figer ? Comment cette période a influencé votre musique ?

Yzael
Artiste
Ouais, carrément. C’était un choix dans le sens où on sait que c’est de la musique de live qu’on fait. Pour la plupart des tracks, c’est de la musique qui se prend en live, et en fait on avait la volonté de construire une petite communauté de gens qui nous ont vus, parce que quand tu sors d’un concert, que tu vas sur l’Insta de l’artiste et que tu t’abonnes, c’est que tu vas suivre, que t’as kiffé. C’était aussi un moyen pour nous de jauger les morceaux qui allaient sortir plus tard, en fonction de ceux qui marchaient bien et de ceux qui marchaient moins bien.

Digital&Ce Interviewer
Vous évoluez dans une scène encore très underground, avec une esthétique musicale et visuelle propre à vous. C’est d’ailleurs sûrement en partie pour votre patte que vous avez été retenus aux Inouïs. Comment ressentez-vous le fait de trouver votre place dans l’industrie petit à petit ? Est-ce que c’est un parcours difficile pour vous ?

Charli la Malice
Artiste
En vrai, j’trouve que ça fait vraiment partie d’une évolution assez naturelle. Ce qui est bien, c’est qu’on ne grille aucune étape. On a commencé dans des bars à la con tout nazes, et finalement on se retrouve à jouer là. On a fait d’autres supers salles pour de belles premières parties, et tout se fait très naturellement. Au début, on commence, on est tout seuls dans notre chambre, ensuite on va voir un professionnel dans une salle en disant “bonjour, en fait je fais ça, je suis dans ma chambre, j’en ai marre, comment je peux faire pour que ça sorte de là ?”, et il nous explique. Petit à petit, tout se fait tout seul. Et aussi, c’est beaucoup de bouche-à-oreille quand même. C’est l’entrée dans un drôle d’univers, pour être honnête (rires), mais bon, c’est le jeu aussi. Mais ouais, je dirais que ça se fait de manière assez naturelle en vrai.


Digital&Ce Interviewer
Aujourd’hui vous êtes en totale indépendance et avez une liberté de création qui vous est propre. Ressentez-vous parfois une forme de difficulté à exister dans l’industrie face à des standards plus “lisses” ? Est-ce que vous vous posez la question de faire des compromis pour toucher un public plus large ? Est-ce que toucher une niche, c’est aussi quelque chose qui vous intéresse ? Il y avait notamment Luidji qui évoquait à un moment le fait que l’on peut déjà vivre de sa niche avec 1000 fans engagés. Comment vous voyez ce parcours ?

Yzael
Artiste
Ce qu’on se dit, et c’est ce qu’on essaie de faire, c’est de trouver le juste milieu entre quelque chose de “commercial” et quelque chose de typé et niché. Parce que je trouve qu’il y a tellement de trucs extraordinaires à choper dans des influences méga niches, méga expérimentales. Et nous, notre truc, c’est de réussir à faire la juste part des choses, pour ne pas non plus se travestir dans un truc qui n’est pas nous juste pour que ça marche. C’est vraiment pas un truc qu’on veut. Et puis, après, on aime les hits qui vont tout droit aussi, les fade-up et tout, on kiffe ça. Donc mélanger cette énergie-là du “tube” avec quelque chose de niche, de plus difficile à écouter, et de plus engagé, parce qu’on a un discours politique dans notre son, et la musique permet de transmettre. C’est un peu la mission : trouver aussi la patte qui plaît. Mais je pense que sur les morceaux qu’on prépare, on y est.

Digital&Ce Interviewer
On sent dans votre musique une volonté de brouiller les frontières entre les styles, d’expérimenter. Il y a notamment un côté très électro, voire techno, dans le remix de votre dernier single “BOSSE”. Quelles sont vos influences en dehors de la scène rap ?

Charli la Malice
Artiste
Elles sont très très larges. J’viens d’une famille de jazzeux, donc à la base on part sur des trucs un peu comme ça. Après, franchement, on est inspirés par beaucoup de trucs. Je sais qu’il y a des rappeurs qui sont mordus de rap et que de ça. Nous, c’est vrai qu’on est assez ouverts à plein de styles. Même dans l’équipe qu’on a, niveau ingé light, ingé son ou notre saxophoniste en live, si on prend ces personnes-là, on est tous d’univers méga différents, et c’est ça qui est super important et intéressant : notre saxophoniste vient du jazz, notre lighteux vient de la grosse techno hyper vénère, notre ingé son vient du reggae. On aime bien mélanger nos influences. Et même au-delà de ça, on va être autant inspirés par des Stromae que par des Skrillex ou des The Blaze, alors que c’est pas forcément la musique qu’on va faire, mais c’est justement dans leur recherche de texture, de couleur, où ils ont vraiment une patte. On est très inspirés par beaucoup de trucs très différents.

Yzael
Artiste
Surtout, le métissage entre nos deux univers. Pour Charli, ça a été le rap et le jazz dans sa jeunesse, tandis que moi, quand j’ai commencé le son, c’était l’électro. J’étais matrixé par Tomorrowland, matrixé par le mainstream électro, et du coup le mélange s’opère au moment où on se rencontre.

Charli la Malice
Artiste
Ouais, on s’est clairement dit “eh mec, on fait nos prods, on fait d’la trap, mais on pourrait mettre de la drum & bass aussi”. L’idée c’est ça : mélanger toutes ces influences-là. C’est un laboratoire, c’est aussi pour ça que pendant un moment on n’a pas sorti de trucs, qu’on a un peu bossé en sous-marin et qu’on a testé des trucs en live. On est en méga laboratoire, on cherche, on trouve des couleurs, on expérimente, on bosse tous les jours sur ce genre de trucs. C’est pour ça que là, on a sorti le projet de 3 titres, on arrive enfin à une certaine maturation.


Digital&Ce Interviewer
Au sein du rap, il y a aussi des influences dont vous pouvez parler ? Citer quelques artistes ?

Yzael
Artiste
Le dernier gars qui m’a mis une petite claque, c’est TH, parce qu’en fait, je ne comprends pas, mais j’adore. C’est hyper décousu. Je sais pas d’où il sort, mais j’trouve ça trop fort. Même dans les prods, la direction visuelle, c’est trop fort. Le grunt est zinzin, tu te dis qu’il est fou (rires).

Charli la Malice
Artiste
Sinon, Ino Casablanca, très inspirant. Etane aussi, c’est une meuf de Toulouse, elle est trop forte. Puis le truc qu’est bien, c’est qu’en vrai, le rap ça veut plus rien dire. Aujourd’hui on va dire que Youv Dee c’est du rap, mais ça peut aller sur du rock, sur de la pop… En vrai, c’est une récupération de plein de styles et y’a que des foufous qui mélangent tout, c’est incroyable.

Digital&Ce Interviewer
Pour en revenir un peu sur les Inouïs, maintenant que vous avez plus de recul dessus, que votre show a été fait, est-ce que vous voyez ça plutôt comme une étape, un tremplin, ou plutôt comme un espace d’expression artistique libre parmi d’autres ? Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Yzael
Artiste
J’ai l’impression que ça n’a rien à voir avec un tremplin, c’est plus un encadrement sur le temps d’une semaine, ils te font vivre sous pression pendant une semaine, toutes les interviews, les cours, c’est vraiment full pression, ils te mettent dans les conditions les plus terribles pour ton live, et j’ai l’impression que tout est des phases de tests, donc c’est une semaine hyper fatiguante, tu te réveilles au camping à 7h du matin, t’entends les balances de Vald (rires), mais en vrai, c’est tellement bien, tout le monde est trop sympa. Beaucoup de fatigue, mais t’y vas, parce qu’il faut y aller, et qu’on n’a qu’une fois dans notre vie et pas deux, donc je vois pas ça comme un tremplin mais plutôt comme une semaine où on te donne des clés et que si tu les respectes, et qu’après tu arrives à en faire un truc, c’est trop bien, mais si t’as pas envie il y a personne qui va te courir après et te dire “mec, faut faire ça, faut faire ci”, donc y’a moins cet aspect de “concours” comme dans un tremplin, c’est plus de la sélection, typiquement il y a des prix qui sont remis ici, mais tout le monde s’en fout de les avoir, parce que t’as joué devant des centaines de pros.


Digital&Ce Interviewer
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite, quels sont vos objectifs, vos ambitions ? Qu’est-ce qui pourrait aussi déboucher dans la continuité des Inouïs ?

Charli la Malice
Artiste
En vrai pour la suite, là on a plein de morceaux prêts à balancer, ce qu’on pourrait nous souhaiter aussi c’est de continuer dans notre giga belle aventure, de faire de plus en plus de concerts, ce serait vraiment cool ; puis ouais, de faire avancer le bateau comme on le fait, pour l’instant on est dans une ligne qui avance, c’est croissant, ça avance, on le sent c’est factuel, même si on se dit “gngngn l’impression qu’on stagne”, en vrai on avance, donc continuer d’avancer comme ça.

Yzael
Artiste
Et que ce ne soit pas trop rapide, qu’on prenne le temps de faire les choses, de savourer les étapes.

Charli la Malice
Artiste
Ouais, savourer le chemin, parce que c’est ça qui est agréable en vrai.
Auteur/autrice
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Fondateur de Digital&Ce Pigiste, Interviewer, Rédacteur, RP