L’impact du rap sur les mouvements sociaux et politiques

Crédit Photo : Slams.fr

Ces derniers temps, la situation politique s’est particulièrement aggravée en France, la montée de l’extrême droite fasciste et xénophobe au pouvoir a été au cœur de l’actualité. Étant avant tout des fans du rap et de son histoire, nous ne pouvions rester insensibles face à cette situation, et nous nous sentions obligés d’agir. C’est pourquoi nous avons pris la décision unanime d’axer les interviews de notre saison de couverture de festivals sur “l’impact du rap sur les mouvements sociaux et politiques”. Pour ce faire, nous sommes allés couvrir 4 festivals : le Freemusic Festival de Montendre, Le Festival Pose ta Prose de l’île d’Oléron, Le Main Square d’Arras et enfin la première édition du Festival Yardland.

Dans cet article, l’idée est de rester dans le thème de l’impact du rap sur les mouvements sociaux et politiques. Vous y retrouverez uniquement les passages concernant ce sujet. Les articles comprenant les comptes rendus des festivals dans leur globalité, ainsi que les interviews complètes, sont d’ores et déjà disponibles sur le site.

Crédit Photo : Lea Fernandes

Avant d’aborder ces sujets, nous jugeons important de recontextualiser l’enjeu de la montée de l’extrême droite sur le rap et sur la culture en général. La montée au pouvoir de ces mouvements aurait de sérieuses répercussions sur notre culture. En effet, ils tendent à promouvoir des valeurs qui sont en nette contradiction avec nos idéaux, ceux du rap et de la culture. La liberté d’expression telle que nous la connaissons aujourd’hui se retrouverait bridée. Le rap, en tant qu’espace de contestation politique et sociale, est particulièrement méprisé par ces idéologues, qui agiraient de façon à renforcer ces stigmates avec des tentatives accrues de censure, des restrictions de subventions, des poursuites judiciaires, et la fin du statut d’intermittent du spectacle (statut créé par l’État qui permet aux artistes ou techniciens professionnels de travailler pour des entreprises liées à l’art et à la culture tout en touchant des allocations chômage lors des périodes où ils ne peuvent pas travailler, après avoir cumulé un certain nombre d’heures). La culture se retrouverait également bridée, et la présence de festivals, de concerts, de médiatisation, d’aides au développement, ainsi que bien d’autres aspects, diminuerait considérablement.

Au total, durant cette saison de couverture médiatique de festivals, nous avons échangé avec plus d’une trentaine d’artistes et d’acteurs de ce milieu concernant le contexte politique, ce qui nous a permis de réaliser cet article en toute légitimité, grâce aux divers avis recueillis, un élément que nous jugeons primordial. Les sujets et questions suivants ont été abordés : la gentrification du rap, le “public rap” d’extrême droite, la responsabilité politique en tant qu’artiste et en tant qu’humain…

Interviews

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Digital&Ce Interviewer

On fait cette interview dans un contexte assez particulier, on se retrouve ce soir au Main Square, on est à 3 jours des éléctions législatives. Comment est-ce que tu te sens après avoir abordé ta scène ?

Bianca Costa Artiste

Écoute, je me sens super bien. Je pense que, comme je le dis à chaque fois, pour moi la musique c’est vraiment comme une thérapie et c’est hyper important de pouvoir continuer à apporter de la bonne humeur, de la joie de vivre aux gens, de les faire danser. Et si je peux aussi profiter de ces moments là, de visibilité, pour faire passer un message comme j’ai pu le dire au public, faire le rappel d’aller voter. Je le fais aussi sur les réseaux, c’est incroyable pour moi de pouvoir vraiment mélanger le fait d’apporter la joie de vivre et de faire passer des messages.[…]

Crédit Photo : Manon Louchart
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Digital&Ce Interviewer

[…] On se retrouve dans un contexte politique assez particulier, on est à deux jours du premier tour des élections législatives,en tant qu’artiste et particulièrement en tant que rappeur, est-ce que tu te sens concerné par la situation ?

ODIN
Artiste

Carrément, parce que mine de rien, si on va du mauvais côté, il y a énormément de choses qui seront supprimées demain, dont la culture, et la culture elle prendra cher comme jamais elle aura mangé, rien que par rapport à l’intermittence du spectacle. Je me sens concerné et on va faire ce qu’il faut au moment du vote. […]

Raiki
Artiste

[…] En tant qu’artiste, oui. En tant qu’humain, en tant que Français, oui. Après, j’essaye de prendre un peu de recul là-dessus parce que j’ai pas énormément de connaissances sur le sujet, je fais pas trop l’effort de me renseigner honnêtement, parce que j’ai grandi dans un milieu où mes parents sont très déconnectés de ça. On est partis vivre à l’étranger, tout le climat politique ça n’a jamais été un sujet, on m’a jamais parlé de choses comme ça. Je ne suis pas intéressé et je m’y intéresse très peu, mais évidemment que je pense qu’il faut faire barrage à l’extrême-droite, et ça, ce sera toujours le cas. Mais le problème c’est que c’est pas tout rose partout non plus, donc je trouve ça un peu compliqué. Mon avis est assez flou et trop peu renseigné pour que je pense que je puisse me permettre de donner des conseils. J’ai pas envie de jouer un rôle moralisateur alors que moi-même je ne suis pas forcément serein quand je parle de sujets comme ça.

Crédit Photo : Lea Fernandes
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Digital&Ce Interviewer

[…] Aujourd’hui on parle beaucoup de gentrification du rap (embourgeoisement du public, venant de plus en plus de milieux favorisés économiquement), ce qui en découle est qu’on peut voir une partie du public écouter du rap et voter extrême-droite, est-ce que tu penses que c’est quelque chose qui pourrait être voué à s’améliorer à l’avenir, que les concernés prennent conscience des valeurs de ce qu’ils écoutent, notamment grâce à ce que véhiculent les artistes contre ces mouvements ? 

Bianca Costa Artiste

Je pense que c’est hyper important de parler de ces sujets-là, mais je pense qu’il faut faire très attention à comment on le fait. Dans le rap, on a une grosse responsabilité, ce qui est normal parce que ça a d’abord été un moyen de se politiser et de parler d’une réalité, mais à la base, c’était aussi quelque chose pour ambiancer les gens. Le hip-hop, à la base, n’était pas politique du tout. Je ne blâme pas les rappeurs qui ne se politisent pas ou qui le font de façon un peu maladroite, et je comprends, parce que le rap, ce n’est pas que les gens qui sont en mode, “si t’es rappeur il faut que tu te politises”. Chacun est dans sa réalité, mais je ne sais pas si la situation va vraiment s’améliorer. Je pense que ce sont des cycles et que ça change. Il y en a qui sont plus touchés par certains sujets, donc ils vont plus en parler. Il y en a qui vont essayer, mais qui vont parfois se perdre dans le message, parce que je pense qu’il faut quand même faire attention. C’est notre seul moyen de s’exprimer, et si tu gâches ta chance, on va encore plus te tomber dessus. Mais bon, je ne vais pas blâmer les gens, parce qu’encore une fois, chacun fait avec ce qu’il a à dire et avec sa réalité. Je trouve que c’est important que tout le monde écoute le rap, que le rap touche tout le monde. Après, en vrai, comme dans la variété, il y a plein d’artistes où, quand tu écoutes leur chanson, tu sens qu’ils ne votent pas à droite, mais pourtant ils ont quand même un public de ce bord. Ce n’est pas grave. Je pense que tant que l’art touche les gens, c’est le principal. Et après, tu as des artistes comme Médine qui vont vraiment balancer des textes de ouf, mais lui, je ne pense pas qu’il ait des gens de droite dans son public [rires]. Et puis, tu as des rappeurs que tu écoutes plus pour kiffer. Encore une fois, ce n’est pas grave. Je pense qu’il ne faut pas non plus faire une guerre contre le genre. Il faut que le genre continue de se développer et de toucher le plus de monde, et que nous, en tout cas, on puisse quand même se  conscientiser et essayer de faire passer les messages de la meilleure des façons. 

Crédit Photo : Manon Louchart

ODIN
Artiste

[…] Je pense que la bêtise des gens en joue beaucoup, que les gens d’extrême-droite qui écoutent du rap, ils n’ont rien compris, je comprends pas le truc, tu parles de l’ancienne génération, mais je trouve que ça continue pas mal à chier sur l’extrême-droite, qu’on continue quand même à porter un message tous les jours. Rien qu’à titre personnel, le fait d’avoir brûlé une bagnole de keufs sur la cover, ça reste un message, même si c’est pas non plus un barrage explicite contre le RN, ça montre quelque chose qui est politisé mine de rien. Les gars du RN, tu te rends compte que c’est eux qui aiment la police, que c’est eux qui sont contre les cités, nous, on est pas comme ça. Le rap va continuer à défendre ses valeurs, et je pense qu’à un moment, le public va comprendre. En fait, je ne vois même pas pourquoi le public rap est comme ça, je pense qu’à un moment, les artistes le disent assez pour comprendre avec des “arrêtez de me suivre, arrêtez d’aller me voir en concert, arrêtez d’acheter des billets”. Peut-être pas assez pour les rappeurs mainstream, mais c’est leur problème parce qu’ils sont dans une forme de capitalisme, c’est compliqué. Après, je trouve ça archi bête d’écouter une musique qui t’insulte, tu te fais chier dessus à longueur de journée, tu kiffes, c’est ton problème.

Raiki
Artiste

Ils se sentent pas concernés, c’est ça qui est fou. Je pense qu’il y a une forme de déni, ils ne comprennent pas le hip-hop.

ODIN
Artiste

Tu peux pas être dans le déni toute ta vie, en écoutant et en t’enjaillant dessus toute ta vie sur “nique le RN” alors que tu votes RN, je comprends pas le délire, ou alors tu comprends pas ce que t’écoutes, c’est que t’écoutes pas, tout simplement. Je ne comprends pas ces gens, c’est de la bêtise pour moi. Après, on a vécu une grosse période de rap très engagé dans les années 90, puis il y a eu un gros creux, mais je pense qu’on retourne dans ce truc-là, on est en train de faire de plus en plus attention à ça. Typiquement, H JeuneCrack et Mairo qui sont présents ce soir sur le festival,, dans leurs textes, ils replongent dans un aspect politisé, et avec ça, on va vers le bon, mais s’il y a des gens d’extrême-droite qui écoutent du peura, allez vous faire foutre.

Crédit Photo : Lea Fernandes
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Digital&Ce Interviewer

Est-ce que tu penses que les artistes ont une certaine responsabilité par rapport à cette situation politique ? Évidemment, en cohérence par rapport à l’échelle de chacun.

ODIN
Artiste

En vrai, aujourd’hui je ne sais pas trop. Comme tu dis, ça dépend de l’échelle, puis d’un côté, chacun fait sa shit, y’a pas d’obligation, je me rappelle que Vald disait qu’il avait pas envie de faire de la musique à chialer tout le temps dans sa chambre, faire des musiques tristes ça le faisait chier. C’est un petit peu pareil. T’es pas obligé de tout le temps chialer, de tout le temps être politisé, tu peux aussi faire la fête, être très solaire, avoir un message d’espoir, ou alors être super triste, super sombre, y’a pas vraiment de responsabilité parce que ça reste de la musique, ça reste ce que toi t’as envie d’emmener, ça reste ton art à toi, donc t’es pas obligé d’aller dans ce sens, si admettons t’es politisé, tu fais tout pour que l’extrême-droite ne passe pas mais que t’as pas envie de le dire dans tes textes, c’est pas grave, tu fais ta shit, tu fais ton art avant tout.

Comme on peut le constater, chaque artiste a sa propre vision sur la manière d’aborder ces sujets, mais tous sont unanimes sur la nécessité de faire barrage à l’extrême droite, qui serait néfaste pour les valeurs et pour la richesse de la culture rap. Au-delà des interviews réalisées, de nombreux autres artistes et acteurs de l’industrie ont partagé avec nous, que ce soit en privé ou publiquement, leur engagement dans la lutte contre l’extrême droite. Il est inspirant de voir la fierté de notre communauté face à ces défis, et de constater à quel point le rap continue de jouer un rôle central dans cette mobilisation. Sur scène, entendre chaque artiste inciter le public à voter pour le nouveau Front populaire, ou à minima contre l’extrême droite, témoigne d’une prise de conscience collective sans précédent. Un moment fort de cette saison fut sans doute lors du festival Yardland, où l’ensemble des festivaliers et des artistes ont célébré la victoire du nouveau Front populaire et, surtout, la défaite du Rassemblement national. Ce fut une véritable démonstration de solidarité et de résistance, une fête de la culture et des valeurs que nous défendons tous, unis face à l’adversité

Aujourd’hui, il est plus important que jamais de rappeler qu’il faut se mobiliser, ensemble, face aux idéologies qui ne défendent pas nos valeurs.  

Merci à l’organisation des festivals, aux artistes ainsi qu’à leurs équipes d’avoir participé à la réalisation de cet article.

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