ODIN : L'interview
Originaire de La Rochelle, ODIN s’impose progressivement sur la scène rap avec un style brut, puissant, et résolument moderne. Fort de son exigence artistique, il façonne un univers unique où chaque sonorité est méticuleusement travaillée. Après avoir sorti son EP « Sol et Mani » en 2023, ODIN enchaîne avec « Tyr » en mars 2024, un projet marqué par une intensité encore plus brute. À quelques minutes de monter sur la scène du festival Pose Ta Prose, ODIN nous a accordé un moment pour échanger sur son parcours, son rapport à la scène, et sa vision du rap dans un contexte social et politique en pleine mutation.
Digital&Ce Interviewer
Comment tu te sens avant d’aborder ta scène ?
ODIN
Artiste
Très chill, on a fait les balances, à partir du moment où on fait les balances et que ça se passe bien, on n’a aucun moyen de stresser, d’être plus anxieux que ça, c’est vraiment chill, en détente. J’ai vécu pire comme stress on va dire (rires), puis tu vois, c’est le festival qui me met dans cette ambiance-là aussi, c’est le mood, c’est plus détente que d’autres festivals où il y a de grosses programmations, de grosses scénographies… là on est tout chill au milieu de nulle part, j’ai l’impression d’être qu’entre nous et de connaître tout le monde, c’est trop bien, c’est cet esprit-là.
Digital&Ce Interviewer
Tu commences vraiment à roder pas mal de scènes à droite à gauche, t’as notamment fait de grosses premières parties (Moji x Sboy, Dinos, Yvnnis…), est-ce que c’est un aspect important pour toi, la scène, et qu’est-ce que ça représente pour toi ?
ODIN
Artiste
C’est grave important, c’est pour moi là où tu vas chercher le plus facilement le public, comprendre le plus facilement un artiste, le plus facilement rentrer dans son univers, en vrai, quand je me prends le rap, je me le prends avec 1995 parce que je vais les voir en concert. Le truc c’est que, voir un artiste en concert, je trouve que c’est le meilleur moyen de voir retranscrire sa musique et de la comprendre, donc ouais, c’est archi important et en vrai ça fait pas mal de temps qu’on a commencé la scène, à faire des concerts du moins, et en vrai, j’aime trop ça, comme le studio, j’aime trop ça aussi, mais la scène c’est un exercice à part entière que je kiffe trop aussi.
Digital&Ce Interviewer
C’est quelque chose qui s’est développé au fur et à mesure ou t’aimais ça dès le début ?
ODIN
Artiste
En soi, c’est quelque chose dont on n’a pas eu le choix de le faire tout de suite, si tu veux, en 2015 on participe à un tremplin au lycée, donc nous on est avec Nefaz du groupe CMAN, à rapper dans la MDL du lycée pour participer à un tremplin lié à La Sirène (salle de concert à La Rochelle), et ce tremplin, on gagne l’audition, ce qui nous a permis de jouer sur la grande scène de La Sirène, c’est 1200 personnes direct devant toi, tu te manges ça, t’es obligé de mettre un pied direct dedans. Donc là, c’est tout le processus qu’on met en place pour les concerts, c’est beaucoup de répétitions, c’est se prendre la tête sur l’enchaînement des morceaux… même si à l’époque, en 2015, c’était pas autant que ce que l’on fait maintenant mais voilà. Puis, suite à ça, on a été plug sur d’autres premières parties via La Sirène, comme MHD à Cognac qui était une des premières.
Digital&Ce Interviewer
Dans ton dernier projet “TYR”, de mon ressenti, il y avait un certain changement de DA, surtout dans ta manière de rapper, mais aussi dans tes visuels, j’ai eu l’impression que c’était un peu plus brut, un peu plus trash, même avec la cover, est-ce que c’est quelque chose qui est venu dès le départ, est-ce que tu es d’accord avec moi là-dessus ? Quel est ton ressenti par rapport à ça ?
ODIN
Artiste
Ouais j’suis totalement d’accord avec toi. En fait, je kiffe les changements de DA directs, par exemple, Lala &Ce qui sort “Everything Tasteful” dans lequel il y a tout et n’importe quoi, t’as l’impression que c’est une mixtape, il y a énormément de choses à l’intérieur et direct elle passe sur un projet “SunSytem” où il y a que des sons solaires. J’adore le parti pris de choisir une DA et d’aller dans un seul truc à fond, c’est pour ça que j’ai fait ça avec “Sol et Mani”, que j’ai fait ça avec “Tyr”, dans lequel je suis allé dans ce truc un peu brutal, un peu du “pur” rap, même si au final il y a dix milliards d’effets, même si au final c’est plein de trucs qu’on a saupoudré d’effets et de nos influences, mais ouais, ne pas faire de compromis et aller dans un truc à fond, ça me parle.
Digital&Ce Interviewer
Aujourd’hui, on se retrouve dans un contexte politique assez particulier, on est à 2 jours des législatives, pour cet article, on a décidé d’aborder le thème de “l’impact du rap sur les mouvements sociaux et politiques”, toi, en tant qu’artiste et particulièrement en tant que rappeur, est-ce que tu te sens concerné par la situation ?
ODIN
Artiste
Carrément, parce que mine de rien, si on va du mauvais côté, il y a énormément de choses qui seront supprimées demain, dont la culture, et la culture elle prendra cher comme jamais elle aura mangé, rien que par rapport à l’intermittence du spectacle. Je me sens concerné et on va faire ce qu’il faut au moment du vote.
Digital&Ce Interviewer
Au niveau de tes influences, des artistes que t’as écoutés, est-ce qu’il y en a qui t’ont impacté et que tu pourrais citer ?
ODIN
Artiste
Laylow, laylow fort. J’me prends ça à l’époque sur SoundCloud avec le morceau “LIME”, je suis foudroyé, mais comme jamais j’ai été foudroyé dans la musique. Je fais écouter ça à tous mes potes au lycée à la sortie, tout le monde me dit arrête ça et range ta merde, aujourd’hui voilà où il en est (rires). Je me suis fait embarquer dans son truc de A à Z, même là, ce qu’il a sorti, “DOGZ”, je suis archi fan, après Laylow, Wit., tous les mecs qui se veulent un peu en marge de ce qu’il se passe, qui peuvent te prendre à contre-pied.
Raiki
Artiste
Intervention de Raiki (artiste proche d’ODIN) : Même des BLK ODYSSY, sur Sol et Mani il y a beaucoup de ses influences.
ODIN
Artiste
Ah oui, grave, si on remonte il y a peu, je me mange plein de trucs et pas que du rap, BLK ODYSSY c’est un bon exemple, j’écoute ça c’est full instrumentalisé, un mec qui chante, qui rappe, un peu en offbeat, un mec qui prend le truc à contre-pied, je suis archi fan.
Digital&Ce Interviewer
On parle beaucoup de gentrification du rap en ce moment, pour en revenir à tes influences et à ce avec quoi tes rappeurs ont eux-mêmes grandi, est-ce que tu penses que la situation est vouée à être améliorée ? Dans le sens où, aujourd’hui, très clairement, il est possible de voir des soi-disant “fans” de rap, alors que derrière ils votent extrême-droite, chose qui était impossible il y a quelques années avec l’époque de nos grands-frères (IAM, NTM, Kery James, Rohff, Booba, Le Rat Luciano…), quel est ton avis là-dessus ?
ODIN
Artiste
Je pense que la bêtise des gens en joue beaucoup, que les gens d’extrême-droite qui écoutent du rap, ils n’ont rien compris, je comprends pas le truc, tu parles de l’ancienne génération, mais je trouve que ça continue pas mal à chier sur l’extrême-droite, qu’on continue quand même à porter un message tous les jours. Rien qu’à titre personnel, le fait d’avoir brûlé une bagnole de keufs sur la cover, ça reste un message, même si c’est pas non plus un barrage explicite contre le RN, ça montre quelque chose qui est politisé mine de rien. Les gars du RN, tu te rends compte que c’est eux qui aiment la police, que c’est eux qui sont contre les cités, nous, on est pas comme ça. Le rap va continuer à défendre ses valeurs, et je pense qu’à un moment, le public va comprendre. En fait, je ne vois même pas pourquoi le public rap est comme ça, je pense qu’à un moment, les artistes le disent assez pour comprendre avec des “arrêtez de me suivre, arrêtez d’aller me voir en concert, arrêtez d’acheter des billets”. Peut-être pas assez pour les rappeurs mainstream, mais c’est leur problème parce qu’ils sont dans une forme de capitalisme, c’est compliqué. Après, je trouve ça archi bête d’écouter une musique qui t’insulte, tu te fais chier dessus à longueur de journée, tu kiffes, c’est ton problème.
Raiki
Artiste
Ils se sentent pas concernés, c’est ça qui est fou. Je pense qu’il y a une forme de déni, ils ne comprennent pas le hip-hop.
ODIN
Artiste
Tu peux pas être dans le déni toute ta vie, en écoutant et en t’enjaillant dessus toute ta vie sur “nique le RN” alors que tu votes RN, je comprends pas le délire, ou alors tu comprends pas ce que t’écoutes, c’est que t’écoutes pas, tout simplement. Je comprends pas ces gens, c’est de la bêtise pour moi. Après, on a vécu une grosse période de rap très engagé dans les années 90, puis il y a eu un gros creux, mais je pense qu’on retourne dans ce truc-là, on est en train de plus en plus faire attention à ça. Typiquement, H JeuneCrack et Mairo qui sont présents ce soir sur le festival,, dans leurs textes, ils replongent dans un aspect politisé, et avec ça, on va vers le bon, mais s’il y a des gens d’extrême-droite qui écoutent du peura, allez vous faire foutre.
Digital&Ce Interviewer
Pour rebondir sur ça, est-ce que tu penses que les artistes ont une certaine responsabilité par rapport à cette situation politique ? Évidemment, en cohérence par rapport à l’échelle de chacun.
ODIN
Artiste
En vrai, aujourd’hui je sais pas trop. Comme tu dis, ça dépend de l’échelle, puis d’un côté, chacun fait sa shit, y’a pas d’obligation, je me rappelle que Vald disait qu’il avait pas envie de faire de la musique à chialer tout le temps dans sa chambre, faire des musiques tristes ça le faisait chier. C’est un petit peu pareil, tu vois. T’es pas obligé de tout le temps chialer, de tout le temps être politisé, tu peux aussi faire la fête, aussi être très solaire, aussi avoir un message d’espoir, ou alors être super triste, super sombre, y’a pas vraiment de responsabilité parce que ça reste de la musique, ça reste ce que toi t’as envie d’emmener, ça reste ton art à toi, donc t’es pas obligé d’aller dans ce sens, si admettons t’es politisé, tu fais tout pour que l’extrême-droite ne passe pas mais que t’as pas envie de le dire dans tes textes, c’est pas grave, tu fais ta shit, tu fais ton art avant tout.
Digital&Ce Interviewer
J’en parlais aussi d’une manière, encore une fois qui dépend de l’échelle, mais aussi d’une responsabilité d’influence qui va au-delà des textes et qui peut passer par les réseaux ou autre.
ODIN
Artiste
Après, je trouve qu’il y a un truc très hypocrite sur les réseaux, c’est quand quelqu’un ouvre sa gueule que tout le monde agit, mais globalement, y’a personne qui ouvre sa gueule de lui-même sur les réseaux. Que ce soit avec la Palestine, les élections, on s’alarme que quand c’est là et que c’est urgent. À un moment donné, non, c’est pas tout le monde collectivement on emmène la chose, c’est si tu as envie de donner ton avis, tu le donnes, comme dans la vie, si j’ai envie de dire que le concert est pourri et que tout le monde dit qu’il est bien, bah je suis désolé mais c’est mon avis et c’est moi que ça regarde, c’est un petit peu chacun son avis et chacun ses trucs, mais je trouve ça dommage d’attendre d’écouter l’autre parler pour parler, c’est un peu ça. Les gens sont obligés de se baser sur l’épaule de quelqu’un, que ce soit quelqu’un d’influent ou pas, ça peut être ta mif, tes proches, ça manque d’esprit critique, ça manque de position qui vient de soi-même et pas d’une position collective.
Auteur/autrice
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Fondateur de Digital&Ce RP, Graphiste, Interviewer, Rédacteur