Mairo : L’éclosion d’un feu intérieur, sans compromis – LA FIEV

Crédit Photo : Léa Esmaili

Depuis plusieurs années, Mairo affine une identité musicale à part dans le paysage rap francophone. Il a construit, à travers ses projets précédents (Rougemort, 95 monde libre, omar chappier), un univers où cohabitent références équestres, figures mythologiques et clins d’œil au rap des années 2000. À 29 ans, il s’inscrit dans la lignée des artistes qui envisagent le rap comme un art total, mêlant storytelling, performance et vision esthétique.

Avec LA FIEV, son premier album, il pose les bases d’un manifeste personnel. L’inspiration du titre vient du film Fièvre à Columbus University et de son personnage joué par Laurence Fishburne, figure d’autorité et de transmission du savoir. C’est exactement l’état d’esprit qui habite Mairo : l’album est une quête d’élévation, entre surstimulation et ambition affirmée. Loin d’être un simple projet de confirmation, LA FIEV est un projet-charnière, celui qui scelle définitivement son indépendance artistique. 

Un choix marquant réside dans l’absence totale de featurings, un parti pris qu’il revendique pleinement. Il le dit lui-même : LA FIEV est pour lui ce qu’UMLA est pour Alpha Wann. Un projet sans concession, où tout repose sur sa plume et sa vision. Comme Alpha le clamait en 2016 dans STARSKY & HUTCH« Pas d’featuring, faut pas gaspiller l’euf » –, Mairo applique cette logique à son propre parcours, en cultivant son feu intérieur plutôt que de le partager. Sur paramount, il enfonce le clou en lâchant : « Une main lave l’autre, j’pense comme Phaal / Mais c’monde est cruel, j’pense comme Vald », un clin d’œil à la dualité entre idéalisme et réalisme qui traverse l’album. 

Fidèle à ses racines, il s’ancre toujours dans la scène suisse, où il s’est d’abord révélé au sein du SuperWak Clique, aux côtés de Varnish La Piscine, Makala et Slimka, les XTRM BOYZ. Depuis, il a collaboré avec des artistes comme H JeuneCrack ou encore JeanJass, mais cette fois, il choisit l’exercice du face-à-face. Tout dans LA FIEV repose sur sa capacité à captiver seul. Son freestyle de 51 minutes en décembre 2024 chez Grünt, où il s’est livré sans filet, enchaînant les couplets sur fond d’archives familiales et culturelles, annonçait déjà la couleur. 

Musicalement, l’album ne se limite pas à une démonstration technique. Les prods oscillent entre épopées grandioses et moments d’introspection. Il y a du rap pur et dur, de l’egotrip tranchant, mais aussi des touches plus expérimentales, flirtant avec le rock (minuit) ou l’énergie punk (fight4GE). Dans l’ombre de LA FIEV, il y a Hopital, son frère jumeau et producteur attitré. Il compose l’intégralité de l’album, offrant à Mairo un écrin sonore qui épouse chacune de ses nuances : entre envolées épiques, passages introspectifs et explosions d’adrénaline, chaque production semble être une extension directe de sa pensée. 

Parmi les figures qui l’ont influencé, on retrouve Lino, Casey ou encore Ärsenik, dont la puissance d’écriture et l’engagement résonnent dans sa propre plume. Ce goût pour un rap dense, brut et précis transparaît tout au long de l’album, où Mairo jongle entre références et punchlines aiguisées. 

L’un des morceaux les plus marquants est sans doute la patte brisée. Avec ce titre, Mairo se livre à cœur ouvert sur sa mère, évoquant les blessures de l’enfance et la complexité des liens familiaux avec une pudeur touchante. C’est l’un des rares moments où l’album abandonne totalement son armure pour laisser place à une émotion brute sans concession, sublimée par une production soul qui contraste avec l’intensité globale du projet. 

Le morceau température est un moment clé du projet : on y entend la langue tigrigna, un hommage à ses racines érythréennes, ponctué par la voix d’Osman Abdulrahim, pionnier de la musique érythréenne moderne, dont la disparition durant la conception de l’album confère une résonance particulière au morceau.

Enfin, 45% vient clore l’album en forme de conclusion magistrale. À travers treize titres, Mairo trace son propre sillon, refusant les compromis et explorant les recoins les plus personnels de son identité. LA FIEV n’est pas un simple album : c’est une déclaration d’intention. Un projet dense et audacieux, preuve que Mairo n’a besoin de personne pour imposer son art avec une liberté totale.

Cover "LA FIEV" par Léa Esmaili

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